Histoire de la paroisse de Carnac par le chanoine JhM Le Mené

Le texte qui suit est extrait de l'"Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes", publiée en 1891.

CARNAC

 

Ce territoire est limité au nord par Plœmel, à l'est par la rivière de Crach, au sud par l'Océan, et à l'ouest par Plouharnel et Erdeven.

Sa superficie était naguère de 3 903 hectares, dont la moitié environ est occupée par les landes; mais depuis la séparation de la Trinité, en 1864, elle n'est plus que de 3 228 hectares.

La population, dans ces limites réduites, est de 2 901 habitants. Le bourg, situé vers le sud-ouest, est à 13 kilométres d'Auray, à 30 de Vannes, à 17 de Quibéron, et à 42 de Lorient.

Le nom de Carnac semble dériver du vieux mot breton Carn, qui signifie pierre, os, et de la finale adjective ec, qui marque l'abondance, c'est-à-dire Lieu pierreux ou osseux. C'est une allusion aux nombreux monuments mégalithiques disséminés sur son territoire.

Ici la période celtique a laissé ses plus importants souvenirs. Le principal monument de Carnac, celui qui a fait connaître son nom dans l'univers, c'est une armée de menhirs, rangés en files parallèles sur une longueur de trois kilomètres. Ce monument se partage en trois groupes distincts.

1° Au village du Ménec (Mén-ec, Lieu plein de pierres), il y a d'abord un cromlech, d'une largeur de 96 mètres, puis une série de menhirs, plantés sur onze lignes, dans la direction de l'est-nord-est, sur une longueur de 1 056 mètres. Au départ des alignements, les menhirs sont gignatesques et mesurent jusqu'à 5 et 6 mètres de hauteur, puis ils diminuent graduellement en avançant vers l'est. Malgré de regrettables mutilations, ce premier groupe compte encore 835 menhirs.

2° Au village de Kermario (village des morts ?), on voit d'abord un dolmen à galerie, puis une nouvelle série de menhirs, plantés sur dix lignes, presque dans la même direction que les précédents, et sur une longueur de 1 200 mètres. Ici encore les plus grands menhirs sont au point de départ, et vont diminuant vers l'est; certaines rangées sont actuellement très endommagées, et c'est pour cela que ce second groupe ne compte plus que 678 menhirs.

3° Auprès de Kerlescant, on trouve d'abord un cromlech, de forme presque carrée, d'une largeur de 80 mètres, et un tumulus ruiné, puis une nouvelle série de menhirs, plantés sur treize lignes, dans la direction de l'est, et sur une longueur de 220 mètres seulement, en négligeant les pierres isolées, qui se trouvent au delà du village. Ici, comme ailleurs, les plus hautes pierres sont en tête des lignes et vont ensuite en diminuant. Ce groupe ne compte plus que 258 menhirs.

En résumé, les trois alignements réunis ont encore 1 771 menhirs dont la majeure partie a été acquise par l'État, qui les a fait enclore en 1885, 1886 et 1887.

A quel âge remonte ce monument ? - Il est assez difficile de répondre d'une manière précise. Néanmoins il est certain qu'il existait avant la domination romaine, car les conquérants l'ont trouvé mutilé, et ils ont utilisé dans les talus d'un camp construit par eux à Kermario, des menhirs tombés et restés sur place. Il est même antérieur de plusieurs siècles à la conquête romaine, car l'un des menhirs couchés dans le talus susdit portait à la tête de profondes rigoles, dues à la pluie et aux autres agents atmosphériques; or, pour avoir ces profondes rigoles, il faut nécessairement que ce menhir ait été jadis debout, et qu'il l'ait été pendant de longs siècles.

A quoi servaient ces alignements ?

Sans parler de la légende populaire, qui voit dans ces menhirs des soldats changés en pierre par saint Corneille, trois opinions principales ont partagé les antiquaires.

Les uns, comme M. de la Sauvagère, y ont vu un camp romain, dressé par Jules César lui-même, qui aurait fait planter tous ces menhirs pour maintenir les tentes de ses soldats contre la violence des vents de l'Océan.

Transformer d'énormes menhirs en piquets de tentes est une idée trop plaisante pour être prise au sérieux; en outre les camps romains étaient généralement ronds ou carrés, jamais ils n'ont été disposés en avenue de trois kilomètres comme ici; d'ailleurs Jules César n'est probablement jamais venu à Carnac, et dans tous les cas, le monument, comme on l'a vu ci-dessus, lui est bien antérieur.

D'autres, comme Corret de Latour d'Auvergne et Cambry, y ont vu un temple celtique; M. de Penhouet et M. Déane voulant préciser davantage, l'ont transformé en Dracontium, ou temple du serpent.

Qu'il y ait eu là un temple, c'est très possible, mais un temple du serpent, c'est inadmissible. Il n'est point démontré que les Celtes aient été ophiolâtres, c'est-à-dire adorateurs du serpent; et les alignements de Carnac, au lieu d'imiter les plis et les replis du serpent, comme on l'a dit, suivent la ligne droite, autant du moins qu'on peut l'exiger de blocs informes.

Les antiquaires du pays, comme MM. L. Galles, Rosenzweig, Miln,.. estiment que cette bande de terre est un immense cimetière, et que chaque pierre marque une sépulture réelle ou commémorative. Ce sentiment s'appuie sur une observation qui a été faite dans une foule de localités, et qui a démontré l'existence habituelle de débris osseux au pied des menhirs isolés ou groupés; il s'appuie en outre sur le fait particulier des fouilles pratiquées en 1877, au pied de plusieurs menhirs des alignements de Kermario, et qui ont amené la découverte de cendres, de charbons, etc..., c'est-à-dire de traces de sépultures.

Si les alignements doivent leur origine à un ou plusieurs cimetières, ils ont pu devenir ensuite des temples. Les Celtes, en effet, étaient religieux : ils admettaient l'immortalité de l'âme, et ils offraient des prières et des sacrifices pour leurs défunts. Ils devaient donc visiter les tombeaux de leurs parents, et y accomplir des rites religieux; ils avaient même peut-être des jours de réunion générale, pour honorer leurs morts. Dans ces circonstances, le cimetière devenait temporairement un temple, en servant à l'exercice du culte.

Il en a été de même chez les chrétiens. A Rome, pendant les persécutions, les catacombes ont été transformées en cimetières, et, en même temps, on y célébrait les saints mystères. Chez nous, au moyen âge, et presque jusqu'à nos jours, on a enterré dans les églises, et le même lieu était à la fois un temple et un cimetière.

Outre ses alignements, Carnac possède de nombreux dolmens, les uns cachés sous des tertres, les autres à découvert.

1. La butte de Saint-Michel, ainsi nommée de la chapelle qui la surmonte, est composée de pierres et de terres rapportées. Elle mesure 115 mètres de longueur, 58 de largeur, et 10 de hauteur. De sa plateforme on jouit d'une vue magnifique, d'un côté sur l'Océan, de l'autre sur les alignements des menhirs. Une fouille, opérée en 1862, a fait découvrir dans ce tertre une grotte en maçonnerie, de moyenne grandeur, avec table de pierre et dallage inférieur. On y a trouvé un mélange de terre et de cendre, 39 haches en pierre polie, un collier de 101 grains avec 9 pendeloques en callaïs, et des débris d'os brûlés, qui indiquent une sépulture. (Bull. 1862, p. 7).

2. Le tumulus du Moustoir, sur la route d'Auray, mesure 85 mètres de longueur, 36 de largeur, et 5 à 6 de hauteur. On l'a fouillé en 1864, et on a trouvé du côté de l'ouest un beau dolmen, renfermant trois gâteaux de débris osseux, quelques objets en pierre et cinq vases de formes diverses; du côté de l'est, on a rencontré trois cryptes en maçonnerie, des charbons, des ossements d'animaux et trois vases de terre. Au sommet du tumulus, il restait encore un menhir de 2 mètres. (Bull. 1864, p. 117. - 1865, p. 24).

3. Le tumulus de Kercado, de forme circulaire, a 40 mètres de diamètre, et 3m50 seulement de hauteur. Il est composé uniquement de pierres sèches, sans interposition de couches de vase. Fouillé en 1863, il a donné une belle crypte funéraire, haute de 2m50 et précédée d'une allée couverte. Dans la grotte on a trouvé des ossements humains, du charbon, quelques menus objets et des fragments de poteries. (Ib. 1863, p. 5).

A la suite de ces principaux tumulus, il faut mentionner les monuments plus ou moins ruinés de Kerlescant, de Kerlagad, de Crucuny, de Kervihan, de Kergroix, de Keryaval, de Clud-er-yér, d'En autérieu, de Rumentur, de Keric, de Roh-en-tallec, de Gruguen, de Run-Mori, etc... (Ib. 1860-1883).

Trois tumulus, fouillés en 1878, par M. Miln, et situés au Nignol, à Coet-atous et à Kerhouant, couvraient, non des dolmens, mais des murs circulaires concentriques, semblables à des bases de tours rondes. On y a recueilli des fragments de silex, des urnes cinéraires du bronze, du fer,... soit au centre, soit entre les deux murs, soit en dehors. Plusieurs indices portent à croire que ces monuments se rapprochent de l'époque gallo-romaine. (Ib. 1878, p. 102. - 1881, p. 55).

Enfin, trois enceintes quadrilatères ont été fouillées également en 1878, par M. Miln, à Mané-Pochad-en-uieu, à Mané-Clud-er-yér, et à Mané-Tyec. On y a trouvé des foyers de crémation, des cendres, du charbon, des silex et des fragments de poterie celtique, généralement grossière et sans ornementation. (Ib. 1883, p. 36).

La période romaine a laissé à Carnac une empreinte moins profonde que la précédente. A Clou-Carnac, on signale une sorte de camp, avec cinq ou six buttes. - A Kermario, sur le flanc des alignements, on voit un camp romain, de forme presque carrée. - Au Bocenno, M. Miln a exhumé une villa gallo-romaine, avec son petit temple carré, et une quantité de vases brisés, de monnaies impériales, quelques statuettes en terre blanche et un petit bœuf en bronze. Cet établissement semble avoir été détruit au commencement du Ve siècle, lors de l'expulsion des magistrats romains. On a signalé aussi l'existence de briques romaines sur les hauteurs de Saint-Michel et du Moustoir, et au Laz.

Au VIe siècle, les émigrés bretons se sont répandus sur ce territoire, et y ont implanté leur langue et leurs usages.

Le nom du Moustoir semble rappeler l'existence d'un ancien établissement monastique, ruiné peut-être par les Normands au Xe siècle. Auprès de la chapelle de Coet-atous, on voit une pierre tombale de 2 mètres environ de longueur, sur 0m60 de largeur à la tête et 0m30 au pied. Au même village, s'élève une vieille croix de pierre, à bras pattés, portant en relief une autre croix pattée. On voit aussi une croix pattée, avec des signes gravés sur le fût, au village du Hanhon, et une autre à Cro-Carnac.

Les seigneuries de l'endroit étaient :

L'église de Carnac, dédiée à saint Corneille, a été reconstruite en 1639. C'est un édifice, en pierres de taille, ayant la forme d'un long rectangle, partagé en trois nefs par deux rangs de piliers. Les fenêtres ont été récemment décorées de vitaux peints, représentant la vie de saint Corneille. Les lambris des nefs offrent aussi quelques peintures assez soignées. On remarque à un pilier une chaire en fer forgé, autour du chœur une grille en fer, dans le sanctuaire un autel en marbre, et à la sacristie un ostensoir du XVIIe siècle. Un portail latéral, orné de colonnes doriques, est surmonté d'un baldaquin en pierre, en forme de couronne royale. La tour, carrée, supporte une flèche octogone, qui se voit de fort loin.

Saint Corneille, ou saint Cornély, comme on dit au pays, y reçoit un culte tout particulier; on vient en pèlerinage pour le prier. Le second dimanche de septembre est le jour de l'assemblée. Le 13 septembre, jour de la foire, a lieu la grande solennité, grand'messe, vêpres et procession. A l'issue de la grand'messe on bénit, à la porte de l'église, les animaux donnés au saint et ensuite on les conduit, avec drapeau en tête, au champ de foire où ils sont vendus au profit de la fabrique, et leur présence dans une étable est regardée comme une sauvegarde pour le troupeau. Ce même jour, 13 septembre, les habitants de Crach et Plœmel viennent régulièrement, tous les ans, en pèlerinage. Ils font une procession solennelle à huit heures et demie, suivie d'une grand'messe. Des deux paroisses, on vient en foule, pour remercier le saint de les avoir délivrés d'une épizootie. La fête de saint Corneille a lieu le 16 septembre, et la solennité se transfère au dimanche suivant. Ce même jour, il y a encore grand nombre de pèlerins. Pendant l'octave, indulgence plénière à gagner. Ce qu'il y a à remarquer, pendant l'octave, ce sont les processions de nuit des bestiaux. On amène des villages de la paroisse et des paroisses d'alentour, des bandes de vingt et quarante bêtes. Il y a, certaines années, des troupeaux à n'en plus finir.

Pourquoi saint Corneille est-il spécialement invoqué pour les bestiaux ? - On l'ignore. Est-ce parce que son nom commence par Corne et rappelle les bêtes à cornes ?

Les chapelles de la paroisse sont :

Il y avait, en outre, des chapelles privées aux manoirs de Kermalvezin, du Laz et de Kercado.

Les frairies étaient, comme à l'ordinaire, groupées autour des chapelles mentionnées ci-dessus.

En fait de chapellenies, on ne connaît que celle de Kercado, fondée par les seigneurs du lieu.

Le recteur de Carnac était à la libre nomination du pape ou de l'évêque, suivant le mois de la vacance. Il dîmait à la 33e gerbe et il ajoutait à son casuel le tiers des oblations. En 1756, son revenu net était évalué à 1 600 livres.

Parmi les recteurs, on remarque Mathurin Augereau, qui rebâtit l'église paroissiale en 1639, et René Picard, qui mourut Janséniste en 1754. Celui-ci ayant été inhumé sans cérémonies, le Parlement, par une odieuse usurpation de pouvoirs, ordonna au clergé de la paroisse de célébrer un service pour le défunt, et sur le refus des prêtres, il s'en prit aux vicaires généraux et à l'évêque de Vannes lui-même; il fallut l'intervention du roi pour faire cesser les empiètements des magistrats.

Carnac faisait partie du doyenné de Pou-Belz et de la sénéchaussée d'Auray.

En 1790, il fut érigé en commune, du canton de Locmariaquer et du district d'Auray.

En 1791, son recteur, René Le Baron, refusa le serment à la Constitution civile du clergé, et partit pour l'Espagne l'année suivante. Pendant les troubles, on vendit nationalement un jardin et une prairie dépendant du presbytère, une tenue au bourg appartenant à la fabrique, deux pièces de terres dépendant de la chapelle de Notre-Dame, une maison et un jardin appartenant à la Trinité, et quelques autres immeubles.

Au commencement de 1795, Jean Rohu recruta un bon nombre de royalistes à Carnac et aux environs, et le 27 juin les émigrés y opérèrent leur débarquement. Dès le 3 juillet, Carnac fut repris par les républicains, et quelques jours après se produisit le désastre de Quibéron.

Au mois de janvier 1800, le recteur, qui était revenu de l'exil, fut tué par quelques bleus sur le chemin, entre Kervinio et le pont de la Saline.

A la suppression des districts, Carnac passa dans l'arrondissement de Lorient, et l'année suivante dans le canton de Quibéron. La réorganisation religieuse de 1802 consacra cet arrangement, et depuis il n'y a eu d'autre modification que l'érection de la Trinité-sur-mer en commune et en paroisse.

 

Chom e hremb. Né déhemb ket mui.