L'expropriation - document 2

Rapport au Président de la République

Paris, le 20 septembre 1887,

Monsieur le Président,

Les monuments depuis longtemps connus sous le nom de druidiques ou de celtiques, et que la science désigne aujourd'hui sous celui de mégalithiques, comptent parmi les plus précieux restes qu'aient laissés sur le sol de la France les populations primitives qui l'ont occupé. Leur conservation intéresse donc au plus haut degré l'histoire et l'archéologie nationales.

Sauvegardés pendant de longues années par l'oubli même dans lequel ils étaient tombés, ils n'ont, depuis un demi-siècle environ, cessé de disparaître d'une manière constante et progressive : la qualité des matériaux qui les composent les désignait au choix des constructeurs, en même temps que leur emplacement était réclamé par la culture.

La commission des monuments historiques, gardienne naturelle de toutes les reliques du temps passé, s'est vivement émue de la destruction de ces monuments, dont l'origine et la destination présentent certains problèmes non encore résolus, et elle a reconnu que le seul moyen de les conserver à la science était d'en faire, par l'acquisition, une propriété nationale.

Dans ces vues, le Ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes institua, en 1879, sous la présidence de M. Henri Martin, une sous-commission à laquelle il donna pour mission de sauvegarder les monuments mégalithiques menacés, et il obtint du Parlement, en 1882, qu'un supplément de ressources fût, à cet effet, inscrit au crédit des monuments historiques.

Désormais en mesure de protéger d'une manière effective les monuments dont l'intérêt leur était signalé, mes prédécesseurs dirigèrent surtout leurs efforts vers les grands centres mégalithiques de la Bretagne, et plus particulièrement vers celui de la commune de Carnac (Morbihan). Depuis cinq ans, mon administration à ainsi réalisé dans cette commune, à l'amiable ou à la suite d'expertises contradictoires, toutes les acquisitions dont les conditions lui ont paru pouvoir être acceptées, et l'État se trouve aujourd'hui eu possession de la plus grande partie des monuments qui constituent l’important groupe de Carnac.

Mais les exigences des propriétaires se sont augmentées peu à peu, en raison du désir que montrait l'État d’acquérir la totalité de ces monuments; c'est pourquoi, en présence des prétentions excessives des uns ou du refus formel opposé par les autres aux propositions qui leur ont été faites, je me vois désormais contraint d'abandonner tout espoir d'arriver à une entente amiable et dans la nécessité d'avoir recours à l'expropriation pour cause d'utilité publique.

J'ai, en conséquence, l'honneur, monsieur le Président, de vous proposer d'approuver le projet de décret ci joint, tendant à déclarer d'utilité publique la conservation des monuments mégalithiques de la commune de Carnac, afin de permettre à l'État de mener à bonne fin l'œuvre de conservation qu'il a entreprise et qu'un haut intérêt national ne lui permet pas d'abandonner.

Veuillez agréer, monsieur le Président, l'hommage de mon profond respect.

Le Ministre de l'Instruction publique,
des Cultes et des Beaux-Arts,

E. SPULLER.


Le Président de la République française,

Sur le rapport du Ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts,

Vu le procès-verbal de l'enquête a laquelle il a été procédé, du 26 décembre 1886 au 15 janvier 1887;

Vu l'avis de la commission d'enquête;

Vu l'avis du préfet du Morbihan et les autres pièces de l'affaire;

Vu la loi du 3 mai 1841;

Vu l'article 5 de la loi du 30 mars 1887, relative à la conservation des monuments et objets ayant un intérêt historique et artistique;

La section de l'intérieur, de l'instruction publique, des cultes et des beaux-arts du conseil d'État entendue,

Décrète :

Art. 1er. — Est déclarée d'utilité publique la conservation des monuments mégalithiques de la commune de Carnac (Morbihan).

En conséquence, l'État est autorisé à acquérir, soit à l'amiable, soit, s'il y a lieu, par voie d'expropriation, conformément aux prescriptions de la loi du 3 mai 1841, diverses parcelles de terrain situées aux lieux dits : le Ménec, Kermario et autres, et telles, au surplus, qu'elles sont indiquées au plan qui a servi de base à l'enquête mentionnée ci-dessus.

Art. 2. — II sera pourvu au payement de ces acquisitions au moyen du crédit des monuments historiques et mégalithiques, inscrit au budget du ministère de l'instruction publique, des cultes et des beaux-arts.

Art. 3. — Le Ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à Mont-sous-Vaudrey, le 21 septembre 1887.

JULES GRÉVY.

Par le Président de la République :

Le Ministre de l'Instruction publique,
des Cultes et des Beaux-Arts.

R. SPULLER.

 

Chom e hremb. Né déhemb ket mui.
 
 
 
 

Dossier

Documents